Une organisation pleinement inclusive ne doit pas se contenter de ne pas exclure ; elle doit également tenir compte des différences individuelles pour permettre la représentation de tous au sein de l'organisation et éliminer les barrières entravant la participation de chaque individu.
Un article paru en 2024 dans la Revue Internationale de Psychologie et de Gestion des Comportements Organisationnels s'est intéressé au sujet en réalisant une "synthèse interprétative critique" (SIC) à partir d'une analyse de la littérature abordant les éléments qui limitent l'inclusion des personnes neurodivergentes en emploi.
Les résultats de cette étude montrent l'omniprésence du modèle médical du handicap à tous les stades de l'articulation des relations entre les personnes neurodivergentes, les organisations et l'inclusion.
En analysant les pratiques organisationnelles d'inclusion, cette étude a montré les usages très spécifiques du modèle médical qui apparaît comme un facteur structurant pouvant expliquer le décalage qui existe entre les intentions d'inclusions et la réalité tout autre de l'emploi des personnes neurodivergentes.
Au sein des organisations - même des organisations inclusives - le modèle médical, toujours prégnant, s'articule autour de trois usages du diagnostic médical que le schéma suivant illustre :
Une catégorisation des individus : Le diagnostic médical est considéré comme indispensable pour obtenir une reconnaissance des besoins, légitimer des demandes et accéder à des adaptations, Le modèle médical du handicap, à l'opposé du modèle social, se réfère à une norme supposée commune, sans tenir compte de la diversité des individus. Il en découle ainsi une représentation erronée des personnes diagnostiquées et de leurs réels besoins.
À travers le modèle médical, la variabilité des "symptômes" n'est pas prise en considération : la généralisation des besoins des personnes neurodivergentes peut alors aboutir à l'instauration de pratiques inclusives qui s'avèrent non adaptées. Par exemple, les difficultés rencontrées par les personnes autistes dans les relations sociales peut conduire à ne leur proposer que des emplois ne nécessitant peu ou pas d'interactions sociales ; or, malgré des difficultés pour entrer dans l'interaction, certaines personnes autistes apprécient les relations interpersonnelles et sont épanouies et efficaces dans certaines activités en relation avec du public.
En outre, le modèle médical ne tient que très peu compte de l'importance du contexte : les attentes normatives lors des entretiens d'embauche par exemple peuvent limiter l'accès à l'emploi des personnes neurodivergentes qui seraient pourtant performantes sur le poste de travail visé.
Le dévoilement du diagnostic médical est indispensable pour accéder aux adaptations organisationnelles : Le dévoilement du diagnostic médical peut être difficile pour certaines personnes neurodivergentes du fait de la crainte d'une stigmatisation. Le dévoilement induit ainsi l'idée qu'il est absolument nécessaire d'apporter des adaptations et fait l'économie d'une réflexion collective sur la prise en compte des besoins spécifiques de chacun pour exprimer son plein potentiel.
La promotion d'une politique inclusive au sein d'une organisation peut aussi être difficile à assumer pour certaines personnes neurodivergentes lorsque celles-ci sont sollicitées pour représenter leur organisation dans des campagnes de promotion revendiquant l'identité d'organisation inclusive. Une certaine pression peut alors être ressentie dans la demande faite de partager et d'assumer son diagnostic en le dévoilant pour accéder aux adaptations.
Les pratiques organisationnelles d'inclusion guidées par le diagnostic médical :
Diverses organisations mettent en place des pratiques inclusives pour favoriser l'emploi de personnes neurodivergentes. Mais ces pratiques sont, la plupart du temps, conditionnées par l'existence du diagnostic médical. Il s'ensuit alors un amalgame entre "symptômes" et besoins d'accommodations organisationnelles, ces dernières relevant alors de considérations fondées principalement sur des normes de référence neurotypique. Il n'y a ainsi pas de personnalisation véritable des adaptations proposées.
La remise en question du déroulement des entretiens d'embauche par exemple, par la mise en place de procédures simples, peut permettre aux profils neurodivergents de démontrer pleinement leurs réelles compétences sans être mis en difficultés (procédures claires et explicites, questions concrètes directement basées sur l'expérience, ...).
Schéma issu de la publication de. Delhoume, Fran, Pénélope Codello, et Ewan Oiry.
Contrairement à l'approche inclusive dans sa conception, le modèle médical cherche à combler un déficit, à faire entrer un individu dans la norme établie. Très présent encore aujourd'hui, même dans les organisations qui se veulent inclusives, le diagnostic médical est utilisé pour identifier et catégoriser les personnes, ainsi que pour justifier l'accès aux adaptations organisationnelles.
Alors que le diagnostic médical peut permettre aux personnes neurodivergentes de mettre des mots sur leurs difficultés et de mieux comprendre leur fonctionnement, il est crucial que les organisations puissent s'en servir comme d'un levier afin de répondre de façon adéquate à la diversité des besoins. Le diagnostic médical devenant alors un point de départ pour faciliter la mise en œuvre d'actions qui favorisent l'inclusion au sein des organisations, en répondant aux besoins de façon spécifique et individuelle, sans généralisation ni standardisation.
En mettant à disposition des employés des ressources, aussi bien internes qu'externes, les organisations réellement inclusives leur offrent la possibilité de s'en saisir en fonction de leurs besoins spécifiques : possibilités de formations adaptées, opportunités de se voir confier de nouvelles activités, encadrement soutenant les parcours professionnels,...
Par la personnalisation des soutiens apportés, l'organisation rehausse alors la motivation individuelle en permettant une meilleure adéquation entre l'employé, l'environnement professionnel et les activités qui lui sont confiées.
Dans leur transformation, il s'agit donc pour les organisations de bénéficier d'un "curb cut effect", c'est à dire d'une utilisation et d'une appréciation des dispositifs - adaptés au départ aux personnes neurodivergentes - par un groupe plus grand de personnes et, en définitive, par l'ensemble des salariés de l'organisation. L'exemple de l'abaissement des trottoirs aux coins des rues pour faciliter les déplacements des personnes en fauteuil roulant démontre les bénéfices secondaires pour de nombreuses autres personnes : les personnes âgées, les personnes avec des poussettes, les personnes déplaçant des charges lourdes, etc.
RÉRÉRENCE BIBLIOGRAPHIQUE :
Delhoume, Fran, Pénélope Codello, et Ewan Oiry. « Neurodivergence : les organisations inclusives limitées par l’omniprésence du modèle médical ? Les enseignements d’une Synthèse Interprétative Critique », Revue internationale de psychosociologie et de gestion des comportements organisationnels, vol. xxx, no. 81, 2024, pp. 61-92.
Comments